Personne, aujourd’hui, ne peut plus pénétrer dans la bande de Gaza sans une coordination spéciale organisée avec l’armée israélienne et introduite - cinq jours ouvrables avant l’entrée- par le consulat du pays dont elle est originaire. Certains jours, au gré des décisions du commandant militaire de la région de Gaza, la frontière est ouverte ou fermée sans indication de délai. En « temps normal », les formalités d’entrée se font rapidement mais, depuis un an, la Palestine et son peuple sont soumis au temps décidé par l’armée d’occupation et dicté par les ordres militaires.
Nous sommes entrés dans un temps hors norme, dans un temps rythmé par les besoins de la colonisation. Le parcours auquel nous étions habitués depuis des années a changé. Maintenant, deux soldats sont cachés dans des tourelles disposées de part et d’autre d’une immense porte métallique ouvrant sur un couloir sombre recouvert d’un toit de tôle ondulée. Il était jusqu’à présent « réservé » aux Palestiniens. L’« étranger » n’en percevait que l’extérieur. Aujourd’hui, le visiteur emprunte ce même couloir poussiéreux décrit, avec humour, comme étant le même que celui qu’empruntent les vaches, acheminées vers l’abattoir.
Tout le monde, étranger, Palestinien, est traité de la même façon. Il faut comprendre qu’en venant voir les amis de la bande de Gaza, chacun entrerait, de facto, dans ce vaste réseau de terroristes qui, soit-disant, envahirait la planète et dont les pays - du côté du bien - devraient se protéger… Israël dans cet espace géographique qu’est le Proche Orient serait évidemment le seul à en faire partie.
Derrière la porte commandée électriquement et qui ne s’ouvre que sur cinquante centimètres, commence un parcours d’obstacles sur lequel chacun - à l’aller comme au retour- peut échouer, être renvoyé du côté palestinien ou tout simplement être arrêté, blessé ou tué. Après la porte, des tourniquets dont l’ouverture est maîtrisée par les soldats ; puis une rangée de détecteurs magnétiques d’une sensibilité extrême, au point que le moindre objet métallique - y compris ceux qui font partie intégrante de vêtements - font retentir les signaux. N’importe qui peut devenir suspect, se trouver retenu pendant plusieurs heures avant que soit trouvé l’objet du
« délit ». La personne - coupable - sera alors soumise à des allers et retours incessants jusqu’à ce que le signal n’émette plus aucun son. Durant tout ce temps, elle aura dû tenir, dans sa main levée, son passeport… Première épreuve passée, reste ensuite une rangée de tourniquets, que l’on doit passer plusieurs fois - avec ses affaires, sans ses affaires, sac vidé, contenu identifié : objet un à un ; puis une lourde barrière du sol au plafond dans laquelle se détache la porte étroite qui permet d’arriver en Palestine ou d’en sortir. Si l’entrée peut se faire en dix minutes, la sortie peut durer plus de deux heures, voire pour certains, plusieurs jours ou être carrément impossible.
Pourquoi s’étonner ? Ainsi de ce jeune Palestinien qui doit soutenir sa thèse à l’université Al Quds de Jérusalem. Muni des permis, des autorisations, des attestations, des tampons nécessaires, il s’est présenté chaque matin -durant une semaine- devant ce goulet qui régule la liberté de mouvement de chacun. Le septième jour, il a pu sortir. Aucune haine, de l’exaspération certainement, mais surtout un optimisme qui permet de résister.
Gaza delenda est
L’arrivée en Palestine, dont la frontière est marquée par une rangée de trois bancs de bois, et le poste frontière par une petite table sur laquelle travaillent trois policiers, sans arme, est dépaysante. Impossible de retrouver les repères identifiés quelques mois auparavant. L’ancien poste a été détruit lors de la dernière incursion des chars israéliens au prétexte qu’il servait de cache d’armes. Mais en fait, il était un obstacle à la surveillance.
Comment en si peu de temps le paysage a t il pu changer à ce point ? Il n’y a plus de paysage. Il ne reste qu’une vaste étendue de terre retournée. Sur plus de quatre kilomètres, de part et d’autre de la route Salah-ed-Din, maisons, immeubles, fermes, prairies, serres, champs d’arbres fruitiers, jardins fleuris : tout a été rasé pour des raisons dites « de sécurité ». Cette longue bande dépecée permet aux soldats de voir jusqu’aux premières maisons du camp de réfugiés de Jabalia. Que sont devenus les habitants chassés de leurs maisons ? Cette politique de la terre brûlée évoque Attila. Rien ne doit résister, rien ne doit rester. Tout briser. Tout détruire.
Est ce ainsi que se conçoit l’idée de la paix ? Peut elle se construire dans un univers où seul le plus fort décide de ce qui est bon pour les occupants et les occupés ? Une seule question nous hante : que fait la communauté internationale ? Que sont devenus les concepts de responsabilité et de solidarité ? Au nord, il y a Erez, mais au sud il y a Rafah avec ses centaines de maisons détruites, ses civils morts pour avoir dit non à cette destruction systématique et uniquement justifiée par des « raisons de sécurité ». Mais ainsi combien de kilomètres de terre sont-ils sous contrôle, pris aux Palestiniens ?
Combien de temps accepterons-nous d’être bernés et de ne pas entendre ? Combien de temps accepterons-nous ces violations du droit international et humanitaire au risque de devenir nous-mêmes complices de ce déni qui dure depuis si longtemps ?